Éthiopie : hommage à Agitu Gudeta, bergère assassinée en Italie

Arrivée en Italie en 2010, la jeune éthiopienne Agitu Gudeta avait monté une fromagerie florissante dans une vallée reculée du Trentin. Le 29 décembre, elle a été tuée par un homme qu’elle employait. Son histoire émeut bien au-delà des frontières du pays.

Sur les photos du site internet La Capra Felice (« La chèvre heureuse »), la pure lumière alpine de la vallée des Mochènes donne aux images des reflets d’Eden. Nous sommes dans un petit village du Trentin, Frassilongo. Un troupeau de chèvres est en train de paître sous le regard doux d’Agitu Ideo Gudeta. C’est le printemps, sans doute, les plantes sont en fleurs et la jeune femme porte un t-shirt à manches courtes. Le temps semble s’être arrêté sur un instant de pur bonheur, comme sur cette autre image où la même Agitu Gudeta, la tête ceinte d’un foulard rouge, montre avec un grand sourire les fromages bio qu’elle produit avec le lait de ces chèvres

Le temps s’est effectivement arrêté et Agitu Gudeta a cessé de sourire. Le 29 décembre 2020, la jeune Éthiopienne, qui s’était installée en Italie depuis dix ans, a été assassinée chez elle à coups de marteau par un employé ghanéen, Suleiman Adams. Elle aurait eu 43 ans le 1er janvier.

Militante écologiste

Un fait-divers parmi tant d’autres, mais qui émeut l’Italie et trouve sa place dans les plus grands journaux du monde, tels le New York Times, le Guardian, ou la Repubblica. Le 7 janvier, même l’austère The Economist a publié une longue et belle nécrologie de la jeune bergère, intitulée The milk of human kindness (Le lait de la bonté humaine). Elles sont pourtant rares, les histoires de bergers produisant des fromages bio dans ces journaux et quotidiens plus prompts à s’intéresser aux cours de la bourse qu’à la vie des gens ordinaires.

Alors pourquoi raconter cette mort brutale ? Pourquoi revenir sur la trajectoire d’une femme née en Éthiopie et venue s’installer dans une région reculée d’Italie ? Peut-être pour en tirer une morale ? Peut-être pour bâtir un discours édifiant sur les migrations, la résilience, la volonté individuelle, la bonté des uns, le racisme des autres… Mais raconter Agitu Gudeta pour ériger sa vie en leçon, c’est courir le risque de la trahir, de transformer son existence en un symbole peu clair des injustices du présent. Alors sans doute faut-il se contenter de lui rendre hommage et de saluer l’œuvre que représentent ses 43 années sur terre.

Agitu Gudeta est née le 1er janvier 1978 à Addis-Abeba, dans une famille relativement aisée d’éleveurs semi-nomades. À l’âge de 18 ans, en 1996, une bourse lui permet de se rendre en Italie, le pays qui tenta en vain de coloniser l’Éthiopie, pour étudier la sociologie à Rome et dans la ville de Trente. À l’époque, elle n’entend pas rester en Europe et quand elle rentre au pays, c’est pour y développer des projets d’agriculture durable. Militante écologiste, elle défend les éleveurs et leur droit à utiliser des terres que le gouvernement loue plus volontiers à des multinationales étrangères. Sous le règne de Mélès Zenawi, au pouvoir pendant plus de 16 ans entre 1995 et 2012, manifester n’est pas sans risques. Encore moins quand il s’agit de s’opposer aux cimentiers chinois, partenaires dont on attend beaucoup. Espérant des jours meilleurs, la famille d’Agitu Gudeta a quitté le pays, préférant s’installer aux États-Unis.

Force et détermination

En 2010, fuyant des menaces de mort et un mandat d’arrêt qui risque de la conduire en prison, la jeune femme profite de papiers toujours valides pour rejoindre l’Italie en avion. Avec, en tout et pour tout, 200 euros en poche et une maîtrise de la langue italienne. D’abord serveuse dans un bar, elle choisit rapidement de rallier la région du Trentin et de mettre en œuvre son propre projet d’agriculture durable.

Portée par le savoir héritée de sa grand-mère, elle achète une quinzaine de chèvres et commence à les faire paître sur des terrains publics délaissés mis à disposition par la municipalité. Il ne s’agit pas de n’importe quelles chèvres. L’espèce qu’elle choisit est locale : Pezzata Mochena, alors quasiment en voie de disparition. Le travail n’est pas simple, il faut s’occuper des animaux du matin au soir, les protéger des loups, des ours et des voisins jaloux, les traire, rénover des bâtiments… Ses chèvres ne sont pas de grandes laitières, mais elles donnent suffisamment pour qu’Agitu puisse commencer à vendre du lait et des yaourts.

admin

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